J’ai testé le fabuleux destin de Jeanne Gabin

Publié le par Sophie

Oui, vous m’avez bien lu : le destin de JeanNE Gabin et non Jean Gabin, bien que la première soit la seconde épouse du second... Vous me suivez ?

Bien.

Ce qui va suivre est une biographie romancée de Jeanne Gabin.

Jeanne étant beaucoup moins illustre que Jean, j’ai rebouché plusieurs trous de mémoire sur la frise de sa vie avec le ciment de mon imagination. 

Jeanne Mauchain est née à Landerneau en 1900. Son père Edouard a alors 40 ans et sa mère Marguerite, 21 ans. La petite Jeanne est enfant unique et grandit au milieu d’immenses toiles de lin, dont ses parents font le commerce.  

landerneau quai leon saint houardon finistère
La petite Jeanne Mauchain ouvre les yeux le 17 avril 1900, au 28 quai de Saint-Houardon, l’actuel quai de Léon à Landerneau, Finistère.

 

La vie d’alors est austère et laborieuse. Le marché de l’ « or bleu » (le lin) se tarit. Les affaires du père périclitent, révélant chez lui un caractère de plus en plus ombrageux. Jeanne quitte l’école des filles (aujourd’hui l’école Jean Macé) à l’âge de 13 ans pour travailler comme couturière auprès de sa mère. Mais déjà, la première guerre mondiale éclate. Le commerce familial est réquisitionné par l’Etat pour l'effort de guerre et se transforme en lieu de stockage pour l’habillement des soldats. Le quotidien de Jeanne est triste et monotone. Aucune sœur à qui se confier. Aucune amie avec qui rire ou danser. Le temps s’écoule terriblement lentement... En novembre 1918, le père meurt des suites de la grippe espagnole, laissant femme et enfant dans un grand dénuement.

La guerre est finie. A 19 ans, Jeanne prend le train pour Paris. La mère n’essaie pas vraiment de la retenir, il n’y a pas de travail pour elle à Landerneau. Le curé de la paroisse la met en garde contre la « mauvaise vie » de Paris et lui donne l’adresse de la Mission Bretonne pour devenir bonne dans une famille bourgeoise. Elle prend le train pour la capitale avec deux autres filles de Landerneau, Suzanne et Marguerite.

Bécassine en apprentissage

 

Dès la première semaine d’embauche, Jeanne sait déjà qu’elle ne supportera pas longtemps d’être « bonniche ». Une fois de plus, elle se sent prisonnière d’une vie ennuyeuse qui ne lui appartient pas. Ses rares congés, elle les passe avec Suzanne et Marguerite. Elles sortent dans les cabarets, écoutent du jazz et apprennent le Charleston. Jeanne adore ces moments festifs et rêve pourquoi pas d’un jour monter sur scène, ce que Suzanne et Marguerite désapprouvent fortement. Rapidement, Jeanne se fait d’autres amis. Il y a tellement de gens d'horizons différents à rencontrer dans le Paris des années folles. Son accent breton la trahit encore mais elle parle de mieux en mieux français et comprend même quelques mots d’anglais.

 

En 1921, elle quitte son boulot de bonne sur un coup de tête. Elle n’en peut plus des mauvais traitements de Madame et des gestes déplacés de Monsieur. Une de ses relations de « mauvaise vie » lui trouve un travail de danseuse de ligne dans un petit cabaret du quartier de Montparnasse. 

 

Bizarrement, la nudité ne la dérange pas. Elle attire sur elle le regard des hommes. C’est la première fois qu’elle se sent intéressante et désirable. A Landerneau, la mère est très mécontente. Elle prie deux fois plus qu’elle ne coud depuis qu’elle a appris la nouvelle des parents de Marguerite et Suzanne. Jeanne s’émancipe, elle n’a jamais été aussi heureuse.

Aucun problème avec la nudité

 

La jeune femme apprend vite les rudiments du métier de danseuse de cabaret et monte progressivement les échelons. Elle s’autonomise financièrement, se fait un carnet d’adresses dans le milieu. En 1923, elle se fait embaucher par le Casino de Paris qui vient de rouvrir ses portes après un important incendie. L’endroit est magnifique et attire le Tout-Paris ! Mistinguett et Maurice Chevalier, « les danseurs obsédants », tiennent le haut de l’affiche. Les deux Jeanne (Le vrai prénom de Mistinguett est également Jeanne) se lient d’amitié. Mistinguett a alors 48 ans. Elle a pratiquement l’âge de sa mère et pourtant elles n’ont strictement rien en commun. Jeanne boit les paroles de la charismatique meneuse de revue devenue femme d’affaires. Cette dernière lui conseille de se trouver un nom de scène : ça sera Doriane Mauchain, alias Dodo !

Jeanne Florentine Bourgeois, alias Minstingett (1876-1956), meneuse de revue et businesswoman avisée

 

En 1925, Mistinguett quitte le Casino de Paris (et Maurice Chevalier) pour le Moulin Rouge et Chevalier revient en vedette unique du spectacle. Mistinguett et Doriane restent en excellents termes et se voient régulièrement. L’année suivante, Jean Gabin fait monter Mistinguett sur scène auprès de La Goulue, tandis qu’il imite Maurice Chevalier (… L’ex-amant de Mistinguett, vous suivez ?). Ainsi, Mistinguett et Gabin s’entendent très bien. En 1928, la célèbre meneuse de revue propose à Jean Gabin de rejoindre sa troupe au Moulin Rouge. L’année suivante, Jean vit une amourette avec Jacqueline Francell, sa partenaire dans l’opérette Flossie, et divorce de sa femme Gaby.

Jean Gabin et Mistinguett

 

Pendant ce temps-là, Doriane évolue. Elle entend régulièrement parler de Jean Gabin par son amie Mistinguett, mais se concentre plus sur son métier que sur les amourettes des uns et des autres. A force de travail et de jeux de coudes, elle devient doublure, swing, puis soliste et enfin meneuse au Casino de Paris ! Elle écrit à sa mère de manière épisodique, mais cette dernière ne la soutient pas et ses réponses, écrites de sa main et dictées par le curé anti-« mauvaise vie », sont laconiques, voire cinglantes. Elle a honte de sa fille, de sa réputation faite à Landerneau. Lorsque Jeanne rentre en Bretagne, c'est-à-dire très rarement, l’accueil est toujours glacial.

En 1931, l'Exposition coloniale inspire la revue « Paris qui remue » au Casino de Paris, dans laquelle Joséphine Baker triomphe pendant plus d’un an. La « Vénus noire » enchaîne en 1932 avec la revue « La Joie de Paris »... L’artiste est loin de faire l’unanimité dans le milieu concurrencé des meneuses de revue.  

Freda Josephine McDonald, alias Joséphine Baker (1906 – 1975)

 

En Septembre 1933, Oscar Dufrenne, co-dirigeant du Casino de Paris, est assassiné. Par un homme de main ? Un amant de passage ? On ne le saura jamais… Toujours est-il que c’est l’effroi, le choc pour Doriane. Du coup, elle se pose mille et une questions sur sa propre vie. Qu’a-t-elle réussi finalement ? Elle n’est pas mariée, elle n’a pas d’enfant, pas de famille. Que peu d’amis sur qui compter. Bientôt elle sera trop vieille pour mener des revues. Les années folles sont passées et sa jeunesse aussi. Elle se confie à Mistinguett qui décide d’organiser un dîner pour lui remonter le moral. « Jean Gabin sera là », lui chuchote-t-elle. « Fais-toi belle » !

« Jean Gabin sera là. Fais-toi belle ! » lui conseille Mistinguett.

 

Le diner a lieu chez Mistinguett au 24, boulevard des capucines dans le 9ème.  C’est Léopold (le grand fils de Mistinguett) qui lui ouvre la porte avec un large sourire. Il n’en est pas à son premier verre de clacquesin ! « Avec zeste de pamplemousse, » détaille-t-il, lui offrant un verre maladroitement.

Une dizaine de convives est déjà attablée. Mistinguett place son amie à côté de Jean Gabin. « Jean, je te présente ma très chère amie Dodo ! » Jean a déjà sa petite notoriété, mais il en faut plus à Doriane pour être impressionnée. Elle a pris cette assurance de son amie Mistinguett. Les sujets de conversation fusent de toute part. Sur fond de musique jazz, on parle fort et mal de la Baker, la starlette du moment. On émet les hypothèses les plus folles sur le meurtre de Dufrenne... Les artistes sont intarissables dès lors qu’il s’agit d’histoires abracadabrantesques.

Doriane n’arrête pas de rire. Jean Gabin est charmé par son joli visage et son sens de la répartie. La pièce est de plus en plus enfumée, Léopold s’entraînant à un concours de fumeurs, dans la catégorie « cigares-vitesse ». Certains invités se lèvent de table au son de la rumba, la nouvelle danse de salon à la mode.

Jean et Jeanne se retrouvent seuls dans leur coin, isolés par des volutes épaisses de fumée.  Elle lui pose des tas de questions sur son métier d’acteur, parce que ça l’intéresse et surtout parce qu’elle sent que ça le flatte. Alors il lui raconte ses projets, le tournage de « Adieu les beaux jours »... Il lui ouvre de nouvelles perspectives, elle lui tombe dans les bras.

Concours de fumeurs

 

Jean et Jeanne se marient rapidement, en novembre 1933, à la mairie de Neuilly-sur-Seine. Les premières années, les amoureux s’entendent très bien. Jean tourne beaucoup. Jeanne le conseille dans ses choix de carrière et excelle dans son rôle improvisée d’agent de cinéma. Mais Jean devient de plus en plus célèbre et attire la convoitise des plus jolies femmes. Surtout, Jean est volage. Et pour Jeanne, on ne badine pas avec l’amour ! De violentes disputes éclatent au sein du couple, notamment avant le tournage de « Gueule d’Amour » en 1937, film dans lequel Jean doit tourner avec Mireille Balin... Jean ayant déjà eu une brève aventure avec la jolie monégasque lors du tournage de « Pépé le Moko », l’année précédente. Si Jeanne avait su le destin tragique réservé à Mireille, elle aurait sans doute mis un peu plus d’eau dans son vin…

Jean Gabin et Mireille Balin

 

En 1938, Jean Gabin tourne dans « Le quai des brumes » avec Michèle Morgan. Jean est déjà le « monstre sacré » du cinéma français. « Je suis sûr que cette môme ne sait pas embrasser. » lance-t-il à son habilleuse sur le tournage. Michèle, jeune femme d’alors 17 ans, est mortifiée. La célèbre réplique « - T’as d’beaux yeux, tu sais. / - Embrassez-moi. » est tellement passionnée que le film sera interdit aux moins de 18 ans à sa sortie. C’en est trop pour la police des mœurs… Et notre landernéenne !

 

Pourtant l’histoire ne s’arrête pas là au grand damne de Jeanne, puisque Jean et Michèle se retrouvent sur le tournage de « La bête humaine », puis « Remorques », dont le début du film est tourné à Brest en juillet 1939.

Tournage de « La Belle Equipe » (1936). Georges van Parys (au centre) est un compositeur français (1902 - 1971) de musique de film, d'opérette et de musique légère.

 

Jeanne insiste pour accompagner son mari jusqu’au bout du monde. « On en profitera pour passer voir ma mère à Landerneau. » L’acteur accepte pour avoir la paix. Jeanne n’est pas dupe. C’est le voyage de la dernière chance pour sauver son mariage.

Du départ de Paris jusqu’à l’arrivée à Brest, tout se passe plutôt bien entre les époux. Jean est charmant. Jeanne se détend. La complicité amoureuse des débuts semble renaître entre eux. Malheureusement, le vent tourne dès qu’ils posent pied à Brest même. Michèle Morgan est retenue par le tournage d’un autre film et ne pourra se libérer que trois jours sur les quinze prévus en Bretagne. Gabin est d’humeur exécrable. Il refuse de rendre visite à sa belle-mère à Landerneau. Il refuse de se promener au bord de la mer avec sa femme… Jeanne est dépitée ! Les choses sont claires : leur mariage est définitivement terminé. Elle préfère s’éclipser avant l’arrivée des « plus beaux yeux du cinéma » et rentre à Paris par le train sans passer par la case landernéenne. Jean Gabin ne la retient pas.

Michèle Morgan et Jean Gabin sur le tournage du film "Remorques" à Brest.

 

L’histoire entre Michèle et Jean fera du bruit dans le Landerneau médiatique... Quoique dans les années 30, les paparazzis n’existent pas encore. Ainsi, les détails sur la vie privée des nouveaux amants ne filtrent que très peu : Ce qui laisse libre court à l’imagination rageuse de Jeanne. Les photos glamour du duo de stars qui paraissent dans les journaux tels que Paris Soir, Comoedia ou le Petit Parisien ne font qu’attiser la haine que leur voue Jeanne. Elle va lui faire payer toutes ces années d’infidélités !

Michèle Morgan et Jean Gabin, les nouveaux amants.

 

De retour à Paris en août, l’équipe reprend le travail dans les studios de Billancourt pour les scènes d'intérieur. Jean et Jeanne ne se voient pour ainsi dire pratiquement plus. Le tournage est interrompu début septembre en raison de l’entrée en guerre de la France et de la mobilisation de Jean Gabin.

L’acteur obtiendra en 1940 une permission exceptionnelle pour terminer le film de Jean Grémillon. A la fin du tournage, Jean et Jeanne fuient ensemble la guerre, mais se séparent définitivement en cours de route pour ne jamais se revoir. L’acteur rejoint Michèle Morgan et l’accompagne à la gare Saint-Charles à Marseille. La jeune femme est en partance pour Barcelone, puis le Portugal, afin de rejoindre les États-Unis. Jean suivra son exemple en février de l’année suivante. Quant à Jeanne, elle s’installe à Sallanches en Haute-Savoie.

Cette nouvelle vie au vert et anonyme n’efface pas les souvenirs des années de fastes et d’humiliations vécues auprès de Jean Gabin. Les échos qu’elle a de son aventure hollywoodienne l’écœurent et elle veut qu’il comprenne qu’on ne se débarrasse pas d’une bretonne aussi facilement. Jeanne va multiplier les actions en justice pour tenter de récupérer la moitié des biens de l’acteur. Têtue, elle ne lâche rien. Une vraie femme d’affaires (Merci Mistinguett !) En janvier 1943, le tribunal d’Aix prononce le jugement de divorce aux torts entiers et reconnus de l’époux. Victoire ! Jeanne touchera 60 millions d’anciens francs français, soit un peu plus de 90.000 euros, ce qui est énorme même encore aujourd’hui !

Jeanne décède à l’âge de 65 ans. Elle n’est jamais retournée à Landerneau, même quand sa mère est morte peu de temps après la seconde guerre mondiale. Elle n’a jamais revu Mistinguett, ni Paris… Elle a pris soin d’elle, ce qui ne lui était jamais arrivé. Elle s’est écoutée, observée. Elle a commencé à se comprendre et à s’aimer. Elle a lu. Beaucoup. Et la vie est passée comme cela, plus doucement qu’elle n’avait commencé. Sans heurt, ni passion. La contemplation pour panser les plaies de l’âme. L’isolement comme remède aux années folles.

Lorsque Jean Gabin décède en 1976, ses cendres sont transférées à Brest pour être dispersées en mer d'Iroise. Par amour pour la mer ? Par amour pour l’amour (de Michèle) ? Jean et Jeanne ne peuvent désormais être plus éloignés l’un de l’autre… Et ce, pour l’éternité !

 

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S
Merci Sylviane pour les infos. J'ai lu que Jean Gabin avait eu trois enfants avec Dominique Fournier, et non Jeanne Mauchain... A moins que vous ayez d'autres sources ?
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P
Merci pour l'émouvante évocation de Jeanne Gabin ...Une vie si bien racontée et qui t'a demandé beaucoup de recherches et aussi de passion .
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S
Oui belle évocation et pourtant on ne parle pas des 3enfants qu'elle a eu avec Jean Gabin?